Réviser la SAQ…?

C’était sorti la semaine dernière dans les médias: la Commission de révision permanente des programmes du gouvernement du Québec proposerait de revoir le modèle du monopole d’état de la Société des Alcools du Québec. Aujourd’hui, le deuxième rapport de la commission a été déposé et on a un peu plus de détails sur ce qui est proposé. Regardons ça d’un peu plus près.

La Commission Robillard (Source: https://revisiondesprogrammes.gouv.qc.ca/)
La Commission Robillard (Source: https://revisiondesprogrammes.gouv.qc.ca/)

La commission a accouché d’un rapport qui analyse le côté financier de la SAQ. On y note que le ratio de frais d’administration sur les ventes nettes est plus élevé des marchés étudiés (21% en 2014), tout comme le ratio rémunération sur ventes nettes (13% en 2014). Suite à ce constat – et un bref regard sur les modèles en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique – la Commission se lance dans les questions et recommandations.

Premièrement, est-ce que l’État doit s’impliquer dans le commerce des vins et spiritueux? Directement liée à la prohibition aux États-Unis, on conclut que la valeur de la SAQ est directement liée à la situation de monopole dans laquelle elle est placée. Une règle du pouce comptable situe la valeur de la SAQ à environ 12.5 milliards de dollars, chiffre qui peut être contesté dans un sens comme dans l’autre selon la méthode d’évaluation utilisée.

Deuxièmement, est-ce que la SAQ est efficiente, comme organisation?  À la lumière des chiffres présentés précédemment, la conclusion est brève et sans appel (page 38):

Comme les données précédentes le démontrent, la gestion de la SAQ paraît peu efficiente.

Selon elle, le ministère des Finances doit faire son travail d’actionnaire unique plus sérieusement, en demandant des améliorations directes à la gestion, ce que le président du Conseil du Trésor, Martin Coiteux, a fait rapidement dans le courant de la journée. L’autre levier, selon la commission, est de libéraliser le commerce des vins et spiritueux au Québec. Voici donc l’intégrale du paragraphe intitulé Une réponse simple : libéraliser le commerce des vins et spiritueux :

La façon la plus simple d’améliorer l’efficacité du commerce des vins et spiritueux consisterait à libéraliser cette activité, en mettant fin au monopole actuel de la SAQ et en ouvrant ainsi la porte à la concurrence.

Une telle libéralisation profiterait directement aux consommateurs. Elle favoriserait le développement de la vente des produits, grâce à la concurrence et à la réduction des prix qui en résulteraient.

Il reviendrait à la SAQ – dont le statut public serait maintenu – de relever le défi et de mettre en œuvre des stratégies appropriées pour profiter de ses atouts et s’adapter au nouveau contexte.

Afin de conserver le milliard de dollars que la SAQ verse en dividendes à chaque année au gouvernement du Québec, la commission propose plutôt d’abolir le dividende versé au gouvernement et de le remplacer par une hausse de la taxe spécifique sur l’alcool d’un montant équivalent, ce qui sur papier se fait à coût nul.

Voici donc l’intégrale de la recommandation #41:

Recommandation no 41

La commission recommande une remise en cause approfondie du modèle d’affaires défini par le Québec dans le secteur de la vente des vins et spiritueux.

La commission ne s’interroge pas sur le caractère public de la société. Elle remet en cause le monopole qu’elle détient.

De multiples signes indiquent un effritement pratique de la portée réelle du monopole, en raison des stratégies des intervenants du secteur privé et du développement rapide du commerce en ligne.

Ce monopole explique l’importance des frais d’administration associés aux activités de la SAQ – des frais d’administration qui se répercutent directement sur le prix au consommateur.

La commission recommande donc que le gouvernement libéralise le commerce des vins et spiritueux, en prenant les moyens nécessaires pour protéger les revenus actuellement perçus sous la forme de dividendes. La SAQ serait ainsi mise en concurrence avec d’autres entreprises.

Seize pages plus tard, le sort du monopole de la SAQ est réglé.

De son côté, dans un communiqué, la SAQ mentionne les points suivants:

  • Les profits ont presque doublés depuis 10 ans, à la demande du gouvernement, pour s’établir à 1.034 milliard $ en 2015
  • La SAQ performe mieux que l’ensemble du commerce de détail au Québec au cours des 10 dernières années
  • Elle offre un autre calcul des frais d’administration, mentionnant qu’ils sont à 19 sous par 1$ de ventes, en baisse de 6 sous depuis 2005.

Quelques questions doivent être posées et n’ont pas été du tout abordées ou démontrées par la Commission.

Est-ce qu’une concurrence va obligatoirement mener à une baisse des prix? La démonstration de cette affirmation reste à faire. Bien qu’elle tienne dans les livres d’économie, l’application sur le terrain reste à démontrer. Le rapport IRIS d’avril 2015 cité par la SAQ conclut que les prix ont crû deux fois plus vite en Alberta qu’au Québec depuis la privatisation, selon un échantillon de 12 (!!) produits. Une vérification plus poussée devra être faite.

Toutefois, selon moi, le grand absent de ce rapport, c’est le consommateur. Est-ce que le consommateur va y trouver son compte? On doit garder en tête le prix, mais aussi la mise en disponibilité des produits à la grandeur de la province. Si les petits cavistes risquent d’apparaître au centre-ville de Montréal ou de Québec, est-ce que le consommateur de Val d’Or ou de Sept-Îles va avoir accès à près de 26000 produits (incluant les importations privées, présentement gérées par la SAQ)? Aussi – en admettant une baisse des prix due à la concurrence – est-ce que cette baisse se ferait aussi sentir dans les régions éloignées des grands centres? Laissez-moi en douter.

Voici donc quelques suggestions, qui ne rendront pas la SAQ parfaite, mais qui pourront permettre au consommateur et aussi aux différents acteurs de l’industrie d’y trouver leur compte. Qu’on ait à jouer sur le ratio de taxe versus majoration de la SAQ pour les rendre viables, ce n’est pas le point principal puisque ça devrait être transparent pour le client.

 

    1. Enlever les barrières à l’importation privée et rendre les produits disponibles sur SAQ.com.

En comptant les produits en importation privée, la SAQ commercialise 26 000 produits, dont près du deux tiers des références se font via ce canal tellement méconnu que même l’intervieweuse de RDI National qui recevait le président du RASPIPAV ignorait qu’un particulier pouvait commander des vins en IP… Permettre de commander le vin à l’unité permettrait aux particuliers de profiter de l’offre et afficher les vins sur SAQ.com les feront sortir de l’inventaire pas mal plus rapidement.

    1. Permettre aux agences d’importation de vendre directement, en ligne et en magasin

Les agences d’importation devraient pouvoir vendre leurs produits directement aux consommateurs qu’ils rejoignent. Une petite boutique qui leur permettrait d’avoir pignon sur rue et un site internet complémentaire pour rejoindre le consommateur éloigné? Je suis certain que plusieurs agences n’attendent que ça.

    1. Lever les barrières interprovinciales sur le commerce du vin canadien

Si la SAQ veut vraiment promouvoir le vin québécois comme elle l’annonce sur plusieurs tribunes, elle doit être en mesure de laisser les producteurs exporter leurs vins s’ils le désirent. Dans un autre sens, si un consommateur québécois veut acheter un vin ontarien en ligne (sans autre intermédiaire), il doit être capable et, logiquement, les taxes applicables devront s’appliquer. Perte de revenus potentiels pour la SAQ? Je n’y crois pas.

 

Est-ce que ces recommandations vont régler tous les problèmes – réels ou perçus – de la SAQ? Certainement pas. Est-ce qu’elles vont permettre de mettre le client de la SAQ à l’avant-plan et aider le commerce des vins et spiritueux à s’éloigner des lois qui datent de l’époque de la Prohibition? Je pense fermement que oui.

NB. On note que la SAQ affirme n’avoir pas été invitée à participer aux travaux de la commission, qui s’est contentée d’analyser les documents qui sont disponibles au public, notamment le rapport annuel, disponibles ici.

Sources:

  • Rapport de la Commission de révision permanente des programmes, CAP SUR LA PERFORMANCE, Volume 2: https://revisiondesprogrammes.gouv.qc.ca/fileadmin/documents/rapport_2015_vol2.pdf
  • Coiteux rabroue la SAQ et Revenu Québec, Tommy Chouinard, La Presse: http://www.lapresse.ca/actualites/national/201508/31/01-4896724-coiteux-rabroue-la-saq-et-revenu-quebec.php
  • RAPPORT DE LA COMMISSION ROBILLARD, Communiqué de presse de la SAQ: http://www.saq.com/content/SAQ/fr/a-propos/la-saq/nouvelles/rapport-de-la-commission-robillard.html
  • Rapport de recherche: Doit-on privatiser la SAQ?, Philippe Hurteau et Simon Tremblay-Pepin: http://iris-recherche.s3.amazonaws.com/uploads/publication/file/SAQ-Interactive-VersionFinale22.pdf

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Julien Marchand

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